Le hasard
Qu’entendons-nous par le mot « hasard » ? Le hasard ne peut être que le contraire de l’ordre et de l’harmonie. Il y a une seule harmonie véritable, et c’est l’harmonie supramentale — le règne de la Vérité, l’expression de la Loi divine. Par conséquent, le hasard n’a pas de place dans le supramental. Mais dans la nature inférieure, la Vérité suprême est obscurcie, c’est pourquoi on ne trouve pas cette unité divine d’action et de but qui seule constitue l’ordre. Privé de cette unité, le domaine de la nature inférieure est gouverné par ce que nous appelons le hasard — c’est-à-dire un champ où se mélangent des forces diverses qui sont en conflit et n’ont pas de but unique défini. Tout ce qui peut résulter de cette bousculade générale, c’est la confusion, la dissonance et le mensonge — un produit du hasard. Le hasard n’est pas une simple idée pour dissimuler notre ignorance des causes qui sont à l’œuvre, c’est une description de la mêlée incertaine de la nature inférieure à laquelle fait défaut cette calme unité de but qui est le propre de la Vérité divine.
Le monde a oublié son origine divine et il est devenu une arène où s’affrontent des énergies égoïstes ; cependant, il lui est encore possible de s’ouvrir à la Vérité, de la faire descendre par son aspiration et d’opérer un changement dans ce tourbillon du hasard. Ce que les hommes considèrent comme une suite mécanique d’événements, par suite de leurs associations de pensées, de leurs expériences et de leurs généralisations, est en fait le résultat d’une manipulation par des agents du monde subtil qui cherchent chacun à réaliser sa propre volonté. Le monde a fini par être tellement soumis à ces agents non divins que la victoire de la Vérité ne peut être remportée à moins que l’on ne se batte pour elle. Cette Vérité ne revient pas de droit au monde, il doit la gagner en rejetant le mensonge et la perversion — et une importante partie de ce mensonge, de cette perversion, consiste à dire que toute chose trouvant son origine ultime dans le Divin, il en résulte que toutes les activités immédiates viennent aussi directement de lui. En fait, ici-bas, dans la nature inférieure, le Divin est voilé par l’ignorance cosmique, et ce qui se passe ne provient pas directement de la connaissance divine. Dire que tout est la volonté de Dieu, sans distinction, est une suggestion très commode des influences hostiles qui voudraient bien enfoncer la création aussi solidement que possible dans la laideur et le désordre auxquels elle se trouve réduite. Alors que faire, demandez-vous ? Eh bien, faites descendre la Lumière, ouvrez-vous au pouvoir de transformation. D’innombrables fois la paix divine vous a été donnée, mais chaque fois vous l’avez perdue, parce que quelque chose en vous refuse d’abandonner sa petite routine égoïste. Si vous ne restez pas sans cesse vigilant, votre nature reviendra à ses vieilles habitudes non régénérées, même après avoir été remplie de la Vérité qui descend. C’est la lutte entre l’ancien et le nouveau qui forme le centre du yoga, mais si vous êtes décidé à rester fidèle à la Loi et à l’Ordre suprêmes qui vous ont été révélés, les parties de votre être qui appartiennent au domaine du hasard finiront par se convertir et par se laisser diviniser, si lentement que ce soit.
– La Mère, Entretiens 1929-31